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« En route pour l’aventure »
Puisqu’il faut bien commencer un jour
Mes parents commerçants possédaient une boutique dont les vitrines étaient régulièrement mises en valeur par un étalagiste. Plusieurs se succédèrent jusqu’au jour où ce fut un artiste peintre qui s’en acquitta. Tout juste sorti de l’enfance, j’ignorais tout de  » la chose artistique  » n’ayant en tout et pour tout que le souvenir d’avoir subi en classe quelques cours de dessin rébarbatifs.
Fréquenter un artiste aiguisait ma curiosité. Ce dernier n’en était pas dupe, un jour il apporta un livre d’art.
Je n’avais rien vu de tel, ce fut une véritable révélation. Je découvris en même temps, Miro, Picasso, Dali, Mathieu, Hartung. Quelle claque de passer en quelques instants de l’univers du Club des Cinq à celui de ces  » Géants « . Une belle et véritable émotion encore présente.
Je n’étais plus le même , maintenant je savais et il me fallait, passer à mon tour derrière le miroir, appréhender un nouvel espace, le défricher sans empiéter sur celui d’autrui, et faire qu’il me ressemble.
J’ai du combler quelques vides avec de petits bouts chapardés chez les autres, mais je passais tant de temps à les triturer à les transformer qu’ils devenaient un peu miens.
Faire, impérativement faire, je n’avais pas envie  » d’apprendre pour faire  » mais de  » faire pour apprendre  » et cela me poursuit encore.
Mon nouvel ami m’encourageait sans m’encadrer techniquement. Il me laissait vivre mes expériences, il me montrait le résultat de ses propres recherches et me fit découvrir le travail d’autres artistes fréquentant son atelier, artistes que je rencontrais de temps à
autre dont un certain Pierre Pinoncelli.
Je réalisais mes élucubrations dans un vieux grenier au confort sommaire, certaines d’entre elles étaient peu académiques. Je me souviens d’une peinture réalisée dans l’esprit de  » l’Hourloupe  » de Dubuffet ( alors que j’ignorais tout de lui ) avec de la peinture à l’huile sur de grandes feuilles de papier blanc manquant de texture.
Heureusement que la satisfaction venait plus du passage à l’acte que de l’appréciation du rendu final car  » l’œuvre  » avait de belles auréoles . . .
Je me souviens aussi d’arabesques colorées réalisées par de longues coulures descendant du haut d’un escabeau que je faisais trembler à la demande.
Il importe peu de se tromper, l’essentiel est de vivre avec conscience ses expériences.A l’adolescence, je découvris les mobylettes, les petites copines et leurs modes d’emploi.
L’une d’entre elles, je ne vous dirai pas s’il s’agit d’une mobylette ou d’une demoiselle m’éloigna de mes pinceaux et comme mon ami  » le peintre étalagiste  » avait trouvé un meilleur job dans l’enseignement, une longue parenthèse d’apaisement pictural commença.
Je dus comme tout un chacun penser à gagner ma vie, trouver une place dans une société qui ne me tendait pas forcément des bras amicaux.
Je n’avais plus mon vieux grenier à peinture et les rares tentatives du dimanche réalisées sur un coin de table n’avaient aucune âme. Comme il me restait un petit grain de folie j’effectuai un passage à l’école des  » Beaux Arts  » de St Etienne et pratiquai assidûment la photographie.
Dans les années 90, changement de travail, changement de vie. Je suis nommé à des fonctions qui me conduisent à gérer en autonomie totale un secteur de trente cinq départements avec des déplacements incessants dont de très longs trajets en voiture.
Rouler seul plusieurs heures d’affilée, parfois six ou sept, implique que l’on doive occuper ses pensées pour ne pas céder à l’abrutissement.
Quand on est seul, toute la journée, toute la soirée, que faire de tout ce temps ?
Que faire de ce  » temps libre imposé  » ?
Pour combler ma solitude je parcourais les expositions, je visitais musées et galeries partout où je me trouvais. Cette profusion d’images réveilla sans doute mon inspiration comme le premier livre d’art montré par mon ami étalagiste l’avait révélée vingt cinq ans
auparavant.
Ainsi donc je repris le dessin. Je commençais par un travail abstrait très structuré réalisé à l’encre de chine de couleur et à l’acrylique aquarellée, toujours cerné de noir. Il me fallait utiliser un format passe-partout pour que je puisse travailler n’importe où, chez moi mais aussi à l’hôtel et surtout dans ma voiture. J’y passais presque toutes les poses de midi, je m’étais aménagé une planche à dessin que j’appuyais sur le volant et sur laquelle j’avais confectionné un support pouvant maintenir sans trop de risque quelques flacons en équilibre.
Au bout de plusieurs mois je montrai mes dessins à un ami galeriste assez incisif. Il critiqua mais m’encouragea aussi. Ce sont ses critiques qui m’aiguillonnèrent.
Je présentai ma production à plusieurs personnes, certaines m’incitèrent à changer de matériaux prétextant que malgré un travail intéressant cela restait du dessin sur papier laissant entendre qu’il s’agissait là d’un art mineur.
Il n’était pas question pour moi de changer quoi que ce soit pour l’instant, c’eût été une fuite, un renoncement, je devais faire mes classes besogneusement et en toute modestie tenter de cerner ce que j’avais entrepris. Cela dura un peu plus de deux ans.
Les formats s’agrandirent, je ne pouvais donc plus travailler à l’intérieur de ma voiture.
Je m’étais fabriqué une sorte de chevalet à plat, avec des tubes plastique qui s’emboîtaient et tenaient très peu de place une fois démontés.Avec des formats plus importants il me fallait plus de matière, la peinture acrylique remplaça l’encre que je conservais pour certaines finitions. Comme je peignais désormais à l’extérieur et qu’il n’y avait plus de danger de salissures intempestives je pouvais risquer des coulures et des projections avant d’apposer des signes et parfois quelques scarifications sur le papier.
Ma rencontre avec le carton je la dois à une très bonne amie qui avait fait les Beaux Arts avant de reprendre la succession de l’entreprise familiale. Elle disposait à profusion de cartons plats, tous identiques au format de 84 cm x 100 cm. Connaissant mon travail, elle me proposa ces emballages perdus.
Ce nouveau support, gratuit de surcroît, pouvait remplacer avantageusement le papier.
Je l’apprivoisai avec la même technique que celle précédemment appliquée, essentiellement des taches et des coulures mais avec plus d’accidents et de matière.
Léger et rigide, facile à mettre en œuvre, plus épais que le Canson il permettait des lacérations et des inclusions de petits matériaux. Son format était parfait, en fait il s’agissait du format maximum susceptible d’entrer par le hayon de ma voiture car j’avais aménagé la plage arrière pour pouvoir transporter sans risque un tableau en cours d’achèvement.
S’ensuivit assez naturellement l’idée de donner de l’épaisseur, je superposais pour ce faire plusieurs plaques de carton que je collais. Plus le support était épais et rigide plus je pouvais le creuser, l’entailler. Je masquais les tranches et les découpes avec du plâtre que je peignais et incorporais comme élément du tableau.
Les projections gestuelles firent place à une succession de signes, les deux cohabitèrent sur quelques pièces mais ces signes tracés par des gouttes de plâtre et de peinture devinrent de plus en plus nombreux. Ils se codifièrent et finirent par s’apparenter à une écriture que je pratique encore.
Quittant le format traditionnel les pièces furent un peu plus dessinées et apparurent des contours de personnages issus de ma propre mythologie libertaire. Ces personnages ou ces  » choses  » car certaines créations restaient très abstraites, prenaient de plus en plus d’épaisseur, 10 parfois 20 cm.
En observant la configuration d’une tranche de carton, on s’aperçoit qu’en les superposant on perpétue la structure un peu comme si l’on mettait un mille-feuille sur un autre mille-feuille. Pour contourner l’attente du séchage liée au collage, je cousais ces diverses épaisseurs
avec de grandes aiguilles de tapissier et de la ficelle à saucisson. Ce geste sensuel, laborieux, assez physique me permet de penser en volume. Le fait de traverser la matière de la prendre à bras le corps, de l’appréhender sur toutes ses faces m’aide à m’imprégner de l’âme naissante de la pièce et à trouver une bonne symbiose.
Contrairement à mon travail abstrait des débuts qui ne réclamait aucune étude préalable, le façonnage de ces nouvelles figures gagnait à être ébauché sur un bout de papier. Je m’engageais alors sans retenue ni réserve dans un processus de recherche créative qui allait m’accaparer jusqu’à devenir une obsession comme une sorte d’engrenage, de vis sans fin qui vous grignote méthodiquement sans relâche.Une idée en appelant une autre et encore une autre, on n’arrive plus à connaître de réel apaisement. J’avais toujours un carnet de croquis sur moi que ce soit au travail ou dans l’intimité.
En voiture je notais avec un dictaphone des pensées, je les rassemblais, les structurais. Le défilement incessant du paysage stimule l’imaginaire et particulièrement les associations d’idées. Nombre de mes poésies où de mes textes loufoques ont eux aussi pris naissance ainsi.
Aujourd’hui encore dès que je suis inactif, dès que j’ai l’impression de perdre mon temps même un court instant, je sors mon carnet.
Toutes ces études, tous ces dessins que j’appelle des dessins de comptoir ne sont pas aboutis de la même manière. Certains ne sont que des esquisses sommaires et pourtant suffisantes pour que je me fasse l’idée de la pièce dans sa configuration définitive, alors que d’autres sont plus travaillés.
Pour construire une grande pièce, soit je pars d’un dessin existant soit j’en réalise un pour la circonstance. Je l’agrandis au format définitif et décide alors de ce qui sera en creux ou en relief. Je découpe les contours, les plaies et les bosses. J’assemble le tout, colle quelquefois mais couds la plupart du temps prévoyant soit de cacher les coutures soit de les laisser apparaître comme des nerfs sous la peau de plâtre qui va les recouvrir.
Cela m’avait inspiré un texte qui a été repris dans le bulletin de la MAPRA .
De l’intime, quelques bouts de rien, une alchimie délicate que l’on chérit fébrile à la pensée que la chose en maîtresse frigide puisse refuser nos avances. Je guette un souffle de vie dans ces veines de carton où coulent mes fantasmes.
Pour des raisons techniques mais surtout pour un meilleur feeling avec la couleur, je travaille souvent sur plusieurs pièces à la fois. Je commence par un coloris, peu importe lequel, parmi ceux dont je dispose puis en fonction de l’emplacement et de l’importance de la première tache colorée, une seconde va lui répondre puis une autre et une autre encore, pour se terminer la plupart du temps en orgie de couleurs car la couleur appelle
la couleur. Une couleur est révélée par celle qui la jouxte, qui la tutoie. En transe j’ordonne cette fête païenne qui se déroule sous mes doigts, je juxtapose, superpose,
contraste. Dans cette alchimie il est des moments où les couleurs peuvent se mélanger mais il faut aussi parfois que la peinture sèche. C’est pour pallier la frustration de l’attente que je travaille plusieurs pièces à la fois.
D’apparence extravertie, avec une fantaisie non dissimulée, mon travail fonctionne sur divers niveaux de lecture. La plupart de mes pièces ont des liens entre elles, elles font partie d’un concept plus général dont elles ne sont qu’une représentation.
Parmi mes peintures en relief je réalise plusieurs types de travail : Il y a tout d’abord les pièces uniques, puis d’autres figures qui bien que totalement différentes fonctionnent ensemble. Ce peut être un groupe de deux ou de trois ou plus suivant la mise en scène définie à la conception du projet.
Certaines enfin dès leur naissance semblent appartenir à une tribu qui enfante et se reproduit. Elles côtoient des cousins qui leur ressemblent, qui ont une histoire commune mais la vivent différemment et cela leur donne un semblant d’humanité supplémentaire.
Ce sont les  » Sidonies « ,  » les Warffs « ,  » les Taureaux »,  » les Cocottes  » et d’autres encore, prévues pour fonctionner en installation.Ces clonages me permettent d’investir et surtout de relier des lieux ciblés, musées ou collections. J’ai plaisir à sceller un réseau d’amis par des pièces ainsi élaborées. Ce sont des messagers, des anges gardien.
Mes pièces sont habituellement présentées en accrochage mural. D’autres sont réalisées en trois dimensions ou simplement en recto-verso et présentées comme des sculptures autour desquelles le public peut circuler. Travail de formats divers, côtoyant les extrêmes du très petit au très grand, suivant les thèmes développés. En fait il n’y a pas de format imposé mais bon nombre des œuvres avoisine le mètre carré.
Une partie de ma production est ouvertement figurative et traduit avec nombre de fantaisies les contours de personnages issus de ma propre mythologie libertaire. L’autre partie est plus abstraite mais elle conduit à interpréter dans l’élaboration, la structure et
le traitement des formes, une suspicion d’humanité. Une pièce se doit d’être habitée pour que le spectateur ait envie de dialoguer avec elle.
Comme dit précédemment, nombre de pièces réalisées avant 2003 l’ont été en partie lors de mes déplacements professionnels. Mes activités commerciales me conduisaient dans des villes de moyenne importance à proximité de la nature. Dès que je le pouvais je quittais le centre ville pour un lieu plus rustique. En quinze ans de pratique j’avais appris à m’organiser, dans chaque région j’avais mes coins préférés, au soleil l’hiver, à l’ombre l’été et le plus possible à l’écart du bruit. Mais il faut bien faire avec les imprévus, c’est ainsi que je me souviens avoir achevé un tableau sous un pont pour m’abriter de la pluie.


Une page est tournée depuis 2002, je ne voyage plus par obligation et me consacre à plein temps aux Arts Plastiques.


31 . 01. 2004
Texte non réactualisé
L . M